The Defacement de Jean-Michel Basquiat, 1983

ANALYSE D'ŒUVRE D'ART

The Defacement, pierre de rosette d’un racisme marginalisé

Ces agents du NYPD — jetés avec agression sur la toile et contre l’inertie exagérée du personnage central — sont représentés tels des monstres terrifiants, déracinés, désarticulés et néanmoins soudés l’un à l’autre dans le mouvement de violence qui les unit et se retrouve incarnée dans leurs bras tendus, leurs yeux oblongs, leurs crocs acérés et la fureur de leurs matraques figées en plein vol. Leurs visages porcins aux teints rosacés, naïfs et vaporeux, invoquent l’iconographie policière diffusée par l’illustrateur Emory Douglas, en 1967, dans les feuillets du Black Panthers Newspaper, ou encore les cochons au pouvoir dans le non moins fameux ouvrage Animal Farm de Georges Orwell, publié en 1945. 

Les badges de shérif et insignes dorés, emblèmes d’un statut justifiant des actes de terreur avec une froideur d’acier, remplacent le cœur et l’esprit sur des poitrines et des faciès bombés de furie.

Encerclée par cet effroyable tourbillon frénétique de violence et de persécution, la figure noire ne semble disposer d’aucune issue, sinon sombre et fatale, en bas à droite du tableau. Un vortex de vulnérabilité aspiré par le trou béant de l’oubli et de l’indifférence.

En haut du tableau, telle une enseigne lumineuse perçant la nuit noire, le mot Defacement couronne cette scène d’une brutalité extrême. Dégradation d’un mur, défiguration d’un être, disparition d’une vie. L’un justifie-t-il l’autre? Semble questionner Basquiat dans un empressement chaotique et désespéré, encerclant le mot de deux points d’interrogation comme les policiers encerclent eux-mêmes la malheureuse victime.

Le reste du tableau est couvert de bleus et lacéré de vifs traits rouges et orangés, comme le corps de Michael Stewart, tous deux respectivement assénés par le coup des pinceaux et des matraques qui virevoltent dans les airs. Le mot Defacement, lui-même rompu et scindé en deux, renforce par cette subtile mise en abîme la violente fracture sociale représentée par la scène centrale.

Le copyright final, signe officiel de protection juridique et légale, suivi d’un point d’interrogation, questionne la notion de propriété privée dans l’espace public, les mensonges brevetés de la police et le droit qu’elle s’octroie d’ôter des vies.

The Defacement est une œuvre profondément intime et un courageux aveu de vulnérabilité pour l’incandescent et lumineux Basquiat, intouchable, ou presque. La tragédie dénommée Michael Stewart a extrait des tréfonds de son âme une œuvre complètement spontanée et animale, l’écho d’une souffrance qui résonnait dans ses plus profonds abîmes et touchait à sa vie de la façon la plus crue et directe qu’il soit. Une profonde et puissante résonnance politique émerge de cette œuvre remarquable qui se veut aussi résolument personnelle et ancrée dans les années 1980, qu’extraordinairement publique et actuelle. Une œuvre universelle qui, telle une pierre de rosette, nous aide aujourd’hui encore à déchiffrer et à dénoncer le sort des minorités ségrégées.